jeudi 23 avril 2020

FEUILLETON 8 UN PATIENT DECRYPTAGE



Résumé des épisodes précédents : la première répétition du nouveau monde s'est terminée par la découverte d'un manuscrit ancien, dont chaque choriste a eu une copie. Par commodité et pour mieux comprendre la suite, je la joins à nouveau.




Lundi 20 avril à midi

Épisode 8

A la répétition suivante, dont la durée passa par les décrets officiels à vingt deux minutes minutes, le chef proposa le décryptage de ce manuscrit un tantinet brouillon, pire que la première lecture du "Kyrie" qui, il y a pas mal de temps, avait rempli d’effroi le chœur dans son entier, mais dont la ténacité, la discipline et la rigueur avaient permis un remarquable retournement de situation…

Parmi les pattes de mouches, le chef fit entrevoir en premier une ligne claire et simple… En période de crise, il vaut mieux s’adresser au simple, le compliqué étant trop souvent d’une impertinence et d’un sans-gêne quasi permanent…

Il semble y avoir trois systèmes de deux portées chacun, reliées entre elles par une accolade aux allures mérovingiennes mais datant fort certainement d’une autre époque…

Cette seconde voix, en clef de fa, ressemble à s’y méprendre à une basse obstinée… Ré, do, si bémol, la, répétés trois fois… (Constatons une faute à la dernière note qui est un la et non point un do)… Trois fois la même chose… Les anglais parleront d’un « ground », dont le plus célèbre se trouve dans la mort de Didon, d’Henry Purcell, sublime déploration dont le chef recommande l’écoute*… (On peut remarquer une seconde faute, dans ce manuscrit, l’oubli de deux points avant la derrière double-barre, transformant celle-ci en barre de reprise)…

Cette manière obstinée d’une basse est très à la mode à l’époque baroque, dans des pièces qui prendront en France, Italie ou Allemagne le nom de Passacaille ou Chaconne… Cette manière de répéter inlassablement la même basse donne un effet d’ivresse délicieuse…

La pièce la plus fameuse (au moins la plus connue) construite de cette manière est le Canon de Pachelbel dont la basse est constituée de 8 notes se répétant 28 fois*…

Retournons au manuscrit et observons à nouveau sa ligne de basse… Elle est, comme le morceau lui-même, en ré mineur, tonalité du Requiem… Est-ce un hasard ? Possible après tout, tout autant qu’une coïncidence… Ces quatre notes sont aisées à apprendre mais sont sans doute d’abord destinées à l’habile main gauche de Marie-Pascale… Cependant, le chef commença leur apprentissage et les basses, en un tournemain, maîtrisèrent à la perfection cette ligne à la beauté sans faille… Le chef expliqua qu’il ne se trouvait point de paroles, ce qui montrait le caractère instrumental de cette ligne, mais qu’en disant le nom des notes, cela serait parfait… Et ce le fut… De toute beauté même…


Cette phrase se répète évidement à l’infini… (La cinquième note étant en vérité la première, la boucle étant rédosila rédosila rédosila etc. (Attention de ne pas oublier le bémol du si !) Le chef n’aurait pas réussi, seul, à décrypter pareil manuscrit, écrit comme un cochon suivant certaines choristes, ce en quoi elles avaient parfaitement raison…) Il fut très heureux de trouver des aides précieuses qui, pendant cette première semaine, l’aidèrent à déchiffrer la page… Il les remercia et leur offrit un beau sourire, levant son masque hideux l’instant d’une seconde, regrettant de ne pouvoir offrir le baiser mérité…


E.P.

 A suivre…

* Note de B : voici les deux oeuvres évoquées : La Mort de Didon et le Canon.


Didon et Énée de Purcell, La Mort de Didon

Canon de Pachelbel

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