samedi 25 avril 2020

FEUILLETON 13 LA PIÈCE MONTÉE, L'ALAMBIC ET LA BRIOCHE



Résumé des épisodes précédents : la CGF a poursuivi son apprentissage du bidule de Mozart. Et le nouveau projet est sur le point d'être révélé. 


24/04/2020 15h32

Épisode 13 




L’autorisation de quitter les masques avait été donnée la veille par le chef du gouvernement. Le son en serait meilleur et la répétition plus agréable. Avec une distanciation sociale de 47 centimètres, la vie retrouvait presque le normal. Le sujet essentiel de la répétition du jour serait la fugue du "Kyrie". 

La fugue, c’est le nirvana du compositeur, l’exercice le plus délicat, celui qui, avec son maximum de contraintes, nécessite une technique sans faille. Mais, comme c’est le cas dans ce bijou de Mozart, jouée à la perfection comme elle le sera, quand, on ne le sait pas mais elle le sera, c’est une merveille d’élévation, une spirale enivrante. 
Une fugue commence toujours par un sujet, par les basses cette fois-ci, qui fait cinq mesures. Ce sujet comprend deux parties, d’esprits différents. D’abord quelque chose de hiératique, un "thème statue" dira plus tard Olivier Messiaen, puis une vocalise faite de croches et doubles-croches. Ce thème sera repris par les autres voix, tour à tour. En principe, puisque nous sommes en ré mineur, ré pour la première entrée (basses), la pour la seconde, ré la troisième et la la quatrième… C’est à dire la première note de la gamme puis la cinquième (appelée dominante – c’est la n° 2 dans l’organigramme de la gamme) puis la première, puis la cinquième. Et l’on s’aperçoit que le divin Mozart a dérogé puisqu’il fait commencer par un la alors que ça aurait dû commencer par un ré… Pourquoi ? Parce qu’à la page précédente il ne termine pas sur la première note de la gamme mais sur la cinquième, comme si la musique n’était pas terminée. Le dernier accord est en suspens, comme si la lumière devait rester allumée, "Et lux perpetua luceat eis"… On reste en tension et… Hop ! on enchaîne sur le "Kyrie"…

😣 😥 😪 😴 😓 😲

Bon, le chef sentit après ce dernier chapitre une petite odeur de roussi… C’étaient les esprits qui commençaient à fumer… Mais il continua, en essayant d’être le plus clair possible ce qui est toujours délicat tant la fugue est aussi un sujet technique. 

A ce « sujet », répond un contre-sujet, chanté en premier par les sopranos… Ensuite, on peut suivre le schéma de construction qui ressemble à cela (En théorie, le sujet des sopranos s’appelle Réponse, parce qu’il répond au sujet – Mais ne chipotons pas)



Cette partie s’appelle l’exposition, qui termine à la mesure 15…
On voit bien que chaque partie fait, comme une abeille à la ruche, son petit travail, un sujet (ou réponse) et un contre-sujet, parfaite symétrie… 
Il va y avoir, entre chaque élément principal, des divertissements qu’il sera bien de chanter moins fort, afin que l’auditeur perçoive la structure de la pièce… Car il faut faire comprendre la structure… Imaginez un pâtissier qui arrive avec une pièce montée où tous les choux sont à plat, sur un grand plateau… Les choux seraient aussi bons… Mais seriez-vous ravis et auriez-vous l’impression de manger une pièce montée ?… Non, car votre regard, qui pourtant ne goûte rien, savoure également… 

Ensuite, Mozart va jouer, sorte de mots croisés, non pas à remplir, mais à fabriquer… C’est un assemblage très alambiqué avec de nombreuses contraintes… Sujet et contre-sujet vont être les éléments d’un jeu assez complexe… 

Et à partir de la mesure 31, on va remarquer que les éléments vont s’emboîter en se rapprochant… Comme si pour le Canon "Frère Jacques", la seconde voix commençait à Ja et non  plus Frè… Il y a précipitation, on dit, en italien, une strette… 

Et arrivent en même temps, qui font un peu office de levure dans une brioche, ces petites altérations à partir de la mesure 34 pour les basses… Nous avons, au milieu de la kyrielle (hihihi !) de doubles-croches ré bémol, ré bécarre, mi bémol, mi bécarre, fa… Une petite montée chromatique qui va faire élever, tout simplement élever… Pareil ensuite à chaque partie… Une sorte de montée infinie qui arrive d’une part où vous savez et d’autre part au si bémol des sopranos, climax de la partition… (Climax avec l’accent écossais sur le I, c’est beaucoup plus joli)… 

Mesure 43, on ne trouve aucune trace des sujet et contre-sujet, c’est une sorte de mesure de passage… Vers un autre monde ? Vers une certitude qui va s’affirmer dans la dernière page, surtout avec les trois croches Chris-te-e puis les doubles croches, vigueur implacable où l’on retrouve les petites montées chromatiques et une blanche hyper-suspendue, mesure 50…

Un silence éternel… On n’en profite pas pour éternuer, même se gratter le nez… La tension est à son comble… On doit la garder… Et on libère toute la puissance accumulée dans la fugue par un adagio qui ne doit pas perdre un gramme d’énergie, tout en écoutant la timbale qui, inéluctable destin, clôt cette merveille… 

Juste après la répétition, le chef eut à peine le temps de s’excuser d’avoir été si hermétique et si long… Il s’écroula sur le piano et l’on put entendre un énorme ronflement, en ré mineur précisa Victorine qui maintenant avait tout compris du charme de cette tonalité… 

Agapanthe se pencha sur le chef et, délicatement, lui susurra à l’oreille… Euh… Le… Petit Projet… 

Le chef se réveilla et dit au chœur « le Projet c’est ça », tout en montrant du doigt la cour dans laquelle trônait toujours un bus magnifique…




Chacun suivit le doigt du chef, interloqué, ne comprenant pas…

Le CGF a acheté ce magnifique autobus et la semaine prochaine nous partons en tournée jusqu’au 11 mai, chanter le "Requiem", le "Canon du carton" et tout ce que nous savons chanter… Alors préparez vos valises, rendez-vous pour le départ à 20 h précises…




😁 😎 👍 👙 🌴 🍦 🍹 🏄‍♀️ 🌞
(Note de B : je memballe peut-être un peu)


E.P.

A suivre…

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