vendredi 8 mai 2020

FEUILLETON 26 FAIRE LA FÊTE POUR CONJURER L'ANGOISSE

Résumé des épisodes précédents : l'enquête sur la disparition de la partition rose s'est  poursuivie dans l'autobus.


07/05/2020 19h50

Épisode 26

Pauline et Léonie, Melchior et le chef se trouvaient maintenant dans le petit salon. La première chose qu’ils firent fut de faire sonner leurs verres de rosé 1947, buvant à la tournée qui se déroulait pour le bonheur de tous. Ils parlèrent ensuite, à grands renforts de rigolades, du cocktail de Iiiiiiiiii, des souvenirs de Kroszztrosssjkl ou de la chute dans l’escalier. Ils évoquèrent aussi le concert du lendemain, avec la Partition Rose 

- Ce sera magnifique, lança Pauline…

- Tout à fait, répliqua le chef…

- Oui, nous avons hâte, murmura Léonide…

- A ce propos, continua le Chef, on a un petit problème avec la Partition Rose. Elle a disparu, ce qui compromet le concert de clôture.

Melchior poussa un petit cri qui pouvait ressembler à un non interrogatif. Pauline analysa cette tonalité comme pouvant être une présomption de quelque chose, mais de quoi, elle fut incapable de le penser. Après tout, elle n’était pas un détecteur de mensonges. Cependant, elle demanda aux deux choristes :

- On voulait juste mettre un peu d’ordre dans le déroulement de la nuit à Kroszztrosssjkl. C’est tout simplement pour une question administrative, c’est la Présidente au teint de rosée qui nous le demande, pour le livre des comptes-rendus.

On sentit un petit flottement et le chef se lança. Après tout, c’était lui le chef et si quelqu’un devait mettre les pieds dans le plat, c’était à lui de le faire.


- A quelle heure êtes-vous rentrés au bus ?

- Très exactement à 7h45, répondit Léonide. Pourquoi ?

- Qu’avez-vous fait ensuite ?

- Alors…  Nous sommes arrivés, nous avons lu la notice du bouton rouge et, avant d’appuyer, avons retiré nos chaussures pour ne pas salir l’autobus.


- Oui, continua Melchior, Léonide, par mégarde, avait mis le pied dans une… un… vous voyez ce que je veux dire, de mouette pilarde et nous ne voulions pas risquer de contaminer la moquette de notre maison roulante avec les plumes collées aux semelles…


Pauline et le Chef se regardèrent, soulagés… 

- C’est tout ce que nous voulions savoir…

- Mais comment va t’on faire pour la Partition Rose ? questionna Léonide.

- Nous verrons bien…

Ensuite ils parlèrent de la pluie et du beau temps, terminèrent joyeusement leur champagne et rejoignirent les autres pour le déjeuner. 

A 14h28, tout le monde était dans la salle de répétition. Le chef dirigea par cœur la Partition Rose, mais on sentit bien qu’il n’était pas à l’aise et que le concert du lendemain ne pourrait certainement pas se dérouler d’une bonne manière, voire ne pas se dérouler du tout. L’ambiance était morose. Le chef descendit le premier l’escalier aux coquillages. Tout le monde craignait qu’il ne tombe une nouvelle fois tant il chancelait.

 La Présidente pensa qu’il était de son devoir de lui parler. Pendant que le bus quittait l’autoroute, elle l’emmena dans le petit salon royal. Chacun pouvait les voir discuter mais sans rien percevoir de ce qu’ils disaient. Tout à coup, à la surprise générale, le chef se leva d’un bond, fit un bisou à la Présidente aux joues rougissantes, vint vers les choristes et leur dit :

 - Bien… Au travail ! Il faut absolument préparer le dîner de gala de ce soir. Il doit être magnifique !!! A la hauteur de notre talent.

Les préparations étaient essentiellement vestimentaires, car le repas et les animations avaient été déjà commandées. Chacun repartit dans sa cabine et, à vingt heures précises, Aïda joua les trompettes et la fête commença.

Verdi, Aïda
Marche des trompettes

Toutes les femmes étaient en robe longue. Il y en avait de toutes les couleurs, en taffetas, soie, organdi, alpaga ou velours, avec motifs de Jouy, liberty, pieds de poules ou cachemire. Certaines avaient des chapeaux. Celui de Zélie était le plus magnifique, avec douze plumes de toutes espèces de volatiles chamarrés.


Les escarpins, les ballerines, les talons aiguilles et les souliers de vair* luisaient, astiqués, brossés, lustrés, certains avec des nœuds d’astrakan. Les parfums se mêlaient dans l’air du soir avec une subtilité sans faille. 

Les hommes, smokings et papillons, vernis noirs et roses au col avaient l’allure de grands hommes, ce qu’ils étaient en vérité. Les Dames furent heureuses de le redécouvrir.

Le champagne, servi en coupe ce soir, accompagnait des variétés insensées de petits fours, chauds ou froids. Ensuite, chacun prit sa place autour de la grande table alors que l’autobus passait au milieu des neiges éternelles.


Le coucher de soleil leur apportait un maquillage de star de cinéma.  La Présidente à l'écriture discursive avait fait le plan de table. Chacun était heureux de sa place et, bien-sûr,  mine de rien, elle avait placé en toute discrétion Léonide et Melchior côte à côte.  On avait bien vu leur inquiétude avant de savoir où ils se trouveraient.


On commença par des bouchées à la Présidente, plat inventé pour l’occasion, puis ce furent des aspics de bartavelles à la financière et un saumon du Turkakispan en aumônières de salsifis à la russe. Vint alors le trou normand, avec un Lieu Chéri de 1865, aux arômes mozartiens. On attaqua ensuite le chapon à l’ouillyvicomtesse avant de se lancer à l’assaut du gigot Saint-Michel rôti à la dragonne. Plateau de fromages avec un Château Jenracine 1912, un véritable cantique, et enfin le bavarois en cinq couronnes surmontées d’un doubitchou caramélisé aux pépites de balivernes torréfiées.



L’ambiance fut des plus heureuses et, après le discours de la Présidente à la plume alerte, remerciant les choristes, le chauffeur de l’autobussocar, la trésorière et le Chef, invita la joueuse bande à monter à l’étage pour le bal. Des décors somptueux ornaient les murs et même le piano avait été décoré aux couleurs de la Chorale des Gazouillis Farfelus. Les musiciens étaient déjà là et ils jouèrent toute la nuit des valses, des sévillanes, des foxtrot, des javas, des mazurkas, des paso dobles, des boléros et même des tangos, dont Anatole et Fabiola étaient de fameux spécialistes.

Chopin, Mazurka
Vladimir Horowitz


Carlos Gardel
Por una cabeza

Il fut l’heure d’aller se coucher car demain il y avait concert. Tout le monde oublia le problème de la Partition Rose et dormit d’un sommeil olympien.


E.P

A suivre..




* Note de B : le vair est la fourrure du petit-gris. Je me permets donc de protester au nom des animaux. La remarque est également valable pour l'astrakan. C'est pourquoi je refuse de mettre des photos.


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