jeudi 7 mai 2020

FEUILLETON 25 LA VIE SANS ROSE

Résumé des épisodes précédents : le concert à Iiiiiii a été triomphal. L'enquête sur la disparition de la partition rose avance tout doucement. 



06/05/2020 19h54

Épisode 25

L’autobus reprit la route, pour le dernier concert de la tournée, avant le retour. Il aurait lieu demain. Mais c’était celui de la Partition Rose. Impossible pour le chef de diriger sans cette partition. Ce n’est pas qu’il soit du genre capricieux, le Chef, mais cette musique exige une telle précision de sentiments qu’il lui serait impossible de mener à la gloire son chœur sans le parfum habituel de ses portées, sans la couleur exacte de son papier, sans les pliures qui, à force de travail, ont forgé l’âme de l’œuvre, sans les coups de crayons rouge ou bleu qui structurent le cheminement de la pensée de l’auteur.

La répétition était prévue à 14 h 28, il fallait absolument la retrouver d’ici-là. Pauline et le Chef se retrouvèrent près du bar dès que l’autobus arriva sur l’autoroute, juste après le péage.

- La partition se trouve dans l’autobus, cela n’est pas possible autrement, commença le Chef.

- Tu as raison, répondit Pauline.

Et elle continua en réfléchissant à haute voix, tout en tournant de la cuiller de vermeil le thé de sa tasse en porcelaine anglaise. Les mouettes pilardes nichent au bord de l'eau, jamais dans le centre-ville. Or, entre les achats de Kroszztropuhkztlqwi

en boule de neige, la répétition, le concert, la réception et le retour, personne n'est allé jusqu'au rivage. Pas le temps.

- En effet, reprit le Chef, et tout le monde… Mais, cria- t’il en sursautant et manquant de renverser la tasse de thé, Léonide et Melchior ne sont pas rentrés tout de suite. Auraient-ils eu le temps d’aller jusqu’à la mer de Krohsrzteustr, pourtant bien loin de la route directe ? Tout le monde ne                                                                  parle que de ce retard à rentrer au bus.

- C’est bien possible, bien qu’il faille beaucoup de temps pour y aller, répondit Pauline, un petit retard ne l’aurait pas permis. A moins que… Allons vérifier le boîtier du bouton rouge.
 Pschiiiitttttt 

Discrètement, ils ouvrirent le système et sortirent le mouchard, un petit disque de carton qui indiquait, pour cette nuit là, un dernier Pschiiiitttttt à 1 h 45, manœuvré de l’intérieur, puis plus rien et un autre Pschiiiiitttt, manœuvré de l’extérieur, à 7 h 45, soit quinze minutes avant le réveil général. 💏

- Aucun doute possible, affirma Pauline, Léonide et Melchior ont eu le temps d’aller jusqu’à la mer de Krohsrzteustr.

- Quelle drôle d’idée, répondit le Chef, médusé, pour quoi faire ?

- Baaaahhhhhhh… dit Pauline, ne sachant pas répondre autre chose… Là n’est pas le problème. L’un ou l’autre aura piétiné une plume qui se sera accrochée à une de leurs semelles et sera tombée sur la moquette auprès de la bibliothèque. Il faut interroger Léonide et Melchior.

Pendant ce temps, les choristes évoquaient leurs souvenirs du confinement de ces dernières années. Gertrude fit rire tout le monde en racontant ses vocalises pendant le repassage et que, vers le mi aigu, elle manquait toujours de se brûler. Moi, dit Balthazar, j’ai construit une voiture. Une vraie ? Non, à pédales. Et moi, en Angleterre, je suis devenue une pro de Facebook. L’un se remémorait la Neuvième, l’autre Madame de Sévigné, le troisième les concerts de l’EVGF, son ancienne chorale, excellente à tous points de vue, et surtout ceux de la CTV dont les tristes vocalises sont à chaque fois une source de fous-rires. Ils sont tellement mous.

Pendant ces joyeuses discussions, une hôtesse passa parmi les choristes et leur proposa des petits gâteaux en forme de clé de sol, écorces d’orange finement sculptées enrobées d’un chocolat orné d’une petite portée en crème de pistache. Un steward en grande livrée proposa un champagne rosé 1947.

Pschiiiitttttt 

- Mais c’est beaucoup trop tôt, s’insurgea Guénolé…

Aussitôt les alti firent taire l’insolent. Midi moins le quart, c’est bien assez tard pour un nectar de cette qualité, digne de nos émois vocaux !

 - Il faut savoir se soigner, même si on est en bonne santé, cria Iphigénie…

- C’est même presque trop tard, répliqua Hectorine *…

Pendant que le champagne coulait au fond des flûtes, seule Aïda avait droit à un verre en forme de piano, Pauline et le Chef s’approchèrent de Léonide et Melchior, en montrant l’une sa plaque de Pauline et l’autre sa plaque de Chef.

Sans résistance, tout cela avec des sourires affectueux, emplis d’amitié, les quatre se rendirent au fond du bus, dans le petit salon Louis quatorze et demi où les fauteuils de pilou-pilou sauraient recueillir les fruits d’une audition qui s’annonçait capitale, et pour l’enquête, et pour le concert du lendemain.




E.P.

 A suivre…




*Note de B : on remarquera que les prénoms des choristes ont des origines très variées : le Moyen-Age, les Rois Mages, la Bretagne, Marcel Pagnol, la famille de Ste Thérèse ( ce qui est normal pour des lexoviens ), l'Antiquité, André Gide, le théâtre, etc...

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